L'approche
des risques après AZF
[ Dossier AZF ]
Le 21 septembre
2001, dans l'usine d'engrais AZF de Toulouse, une quantité estimée
entre 20 et 120 t de rebut de nitrate d'ammonium dans un stock de plus
de 300 t, détonnent pour une raison que plusieurs enquêtes
et expertises cherchent encore à déterminer. L'explosion
a provoqué un séisme de magnitude 3,4 sur l'échelle
de Richter et a été perçue jusqu'à 75 km
de distance ; son intensité a été évaluée
à l'équivalent de 20 à 40 t de TNT.
Ce qui a fait de cet accident une tragédie, ce sont ses
conséquences insupportables
De nombreuses victimes ont été
déplorées : 22 employés tués ainsi que 8
personnes hors de l'usine, 2 450 blessés dont 300 hospitalisés
plus de 6 jours et 21 plus d'un mois.
Les dommages matériels internes sont considérables : 80
ha de l'usine AZF en grande partie dévastés. A l'emplacement
du dépôt de nitrate d'ammonium, un cratère de plus
de 50 m de long sur 7 m de profondeur.
L'usine et 5 autres sites chimiques proches ont été touchés
par les effets de l'explosion. Leurs activités ont été
suspendues et leur mise en sécurité a nécessité
l'évacuation durant plusieurs mois de leurs stocks de produits
dangereux.
1 300 autres entreprises industrielles, commerciales et artisanales
ont été sinistrées à des degrés divers
entraînant le chômage forcé de 21 000 salariés
pendant plusieurs semaines. Dans un rayon de 3 Km autour de l'usine,
26 000 logements ont été endommagés, dont 11 200
gravement, et plus de 1 200 familles ont dû être relogées.
Les dommages matériels représentent 2,3 milliards d'euros.
Cet événement doit changer radicalement notre comportement
face aux risques
Dans cet esprit, la loi n°2003-699
du 30 juillet 2003 sur les risques naturels et technologiques est là
pour qu'évoluent nos attitudes. Pour les 1 150 installations
relevant en France de la directive Seveso doivent être établies,
entre autres, des études de danger pour les accidents, que la
cause en soit interne ou externe.
Pour chaque accident majeur identifié dans l'étude de
dangers, obligation est faite à l'exploitant de procéder
à l'estimation de la probabilité d'occurrence et du coût
des dommages potentiels aux tiers. Ces études doivent être
révisées a minima tous les 5 ans, comme les études
de danger.
Mais la portée de cette obligation est atténuée
par le caractère de ces études, non opposables à
l'exploitant en cas de litige lié à un accident survenu
sur le site, et non communiquées aux actionnaires. Cette position
du législateur marque la difficulté que nous éprouvons
encore à traiter des risques dans la logique du développement
durable.
Nous devons rompre sans ambiguïté avec les pratiques antérieures
qui nous permettaient, au motif que la probabilité d'occurrence
de tel ou tel risque était jugée trop faible, de ne jamais
procéder à l'examen de ses conséquences. Un accident
qui a très peu de chances de se produire ne saurait être
décrété "hors dimensionnement" dès
lors que ses conséquences potentielles sont catastrophiques.
C'est en effet de ces certitudes absolues que nous devons nous défaire
en examinant lucidement les installations pour lesquelles nous savons
qu'un accident "hors dimensionnement" conduirait irrémédiablement
à une catastrophe. Car c'est bien l'absolue certitude que le
risque était trop faible qui a conduit AZF à stocker plusieurs
centaines de tonnes d'une matière potentiellement explosive sans
en évaluer les conséquences, alors même que le site
bénéficiait d'une certification environnementale ISO 14001.
Pourtant, c'est bien parce que le risque zéro n'existe pas et
que l'incertitude demeure qu'il faut examiner tous les effets possibles
d'un accident - quel qu'il soit - afin de concevoir le dispositif permettant
d'éviter qu'il ne tourne à la catastrophe.
Nul ne peut avoir la prétention d'empêcher qu'un accident
survienne. Les fuites, les départs de feu et les explosions en
sont la preuve. Mais la gravité et l'étendue des dégâts
dépendent des dispositions prises en profondeur. C'est en limitant
l'énergie potentiellement dissipée par un accident que
les conséquences peuvent en être réduites. C'est
en confinant les fuites de fluides dangereux ou toxiques pour l'homme
et l'environnement que leurs effets peuvent être contenus à
l'intérieur des enceintes de confinement. C'est aussi en développant
les moyens de lutte et la résistance des matériaux au
feu que les progrès sont réalisables.
Mais encore faut-il que nous nous défassions de cette attitude
qui nous conduit à invoquer la fatalité quand surviennent
ces catastrophes. Comme si, quelque part, une main invisible jouait
nos vies aux dés. Dans les faits, il n'en est rien : ni la fatalité,
ni les lois ne sont en cause. C'est l'énergie susceptible d'être
libérée qui crée les dommages. Et, dans nos usines,
ce sont des êtres de chair et de sang qui déterminent les
quantités d'énergie mises en uvre et non les génies
invisibles
Matière à réflexion
pour la sécurité et la maintenance des patrimoines
Nous avons sous les yeux les enseignements
économiques et humains de l'accident d'AZF. Comment avons nous
pu accepter de supporter 30 morts et plus de 2,3 milliards d'euros de
sinistre, alors qu'il n'eût pas fallu dépenser 50 millions
dans la sécurisation ? Chaque million d'euro non dépensé
en sécurité contenait un risque de perte de 45 millions
d'euros
mais qui en avait conscience ?
Plus près de nous, les 148 victimes du Boeing 737 de Flash Airlines,
abîmé au large de Charm el-cheikh, doivent aussi nous rappeler
que la qualité de la maintenance ne peut être galvaudée.
Au-delà des vies et des familles brisées, le 3 janvier
2004, près de 100 millions d'euros auront été engloutis.
Pour 1 seul million d'euros économisés dans la maintenance
? Dans ce cas de figure, chaque million d'euro non dépensé
porterait un risque de 100 millions d'euros
Mais, encore une fois,
celui qui a joué aux dés a oublié de prévenir
les passagers du risque encouru. Ceci n'est plus acceptable et nous
ne devons plus l'accepter.
Aussi ceux qui participent aux décisions relatives à la
sécurité et à la maintenance des patrimoines feraient-ils
bien d'y réfléchir, et ce d'autant plus que la loi n°
699-2003 du 30 juillet les y oblige, ardemment.
Claude Pichot - Président
de l'Afim -
Guide national de la maintenance
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