Evolution de la législation sur les risques
Gérard Neyret, Vice-Président de l'Afim et de la Sofiom (Société française des ingénieurs d'outre-mer)
Bulletin n°29 de la Sofiom - Mars 2003 - (avec l'aimable autorisation du président de la Sofiom)

 

La triple conjonction d'une législation communautaire renforcée concernant les risques, l'aggravation de la situation concernant les risques professionnels, et des catastrophes tant technologiques (La Mède, AZF, marées noires), que naturelles (inondations) se traduit actuellement par une véritable "pluie" de dispositions législatives concernant la prévention des risques.

On peut déplorer, bien entendu, qu'il faille des catastrophes comme celles de Seveso ou d'AZF pour faire prendre conscience au législateur de la nécessité d'établir une réglementation, et de sanctionner les manquements. La situation est grave quand une législation européenne judicieuse, transcrite en droit français depuis plusieurs années, n'était tout simplement pas appliquée auparavant faute d'avoir prévu les sanctions.

Malheureusement, on se rend compte que bon nombre de situations à risque bien connues ne faisaient, et souvent ne font toujours pas, l'objet de mesure de prévention, pour des raisons d'économies budgétaires, elles-mêmes consécutives au contexte actuel.

C'est ainsi que les "bateaux-poubelles" transportent au moindre coût un fuel résiduel de faible valeur marchande, et que des permis de construire sont délivrés à proximité d'usines à risque, ou dans des zones d'autant plus inondables que les travaux de curage ou de protection de rivière, dont tout le monde reconnaît la nécessité, ne sont pas financés, etc...

Plusieurs catégories de risques sont définies par la législation :
le risque professionnel, qui concerne la sécurité au travail
le risque technologique, atteignant les populations, les biens et l'environnement :
------ le risque industriel, qui concerne l'atteinte au voisinage d'une usine (sinistre)
------ les autres risques technologiques : barrage, nucléaire, transport de matières dangereuses...
les risques naturels : sismique, tempête, inondation, feu de forêt, mouvement de terrain, avalanche...

Le but de cet article est de donner un aperçu sommaire des mesures déjà prises, ou en préparation, concernant les risques professionnels et industriels.

 

Risque professionnel

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En matière de risque professionnel, c'est à dire concernant uniquement les travailleurs, la Sécurité sociale (Cnam et Cram) relève une aggravation de la situation concernant les accidents de travail, auxquels sont particulièrement exposés les travailleurs de branches professionnelles telles que travaux publics, matériaux de construction ou métallurgie, ou des catégories de travailleurs tels que monteurs-levageurs, chaudronniers, tuyauteurs, et bien davantage encore les travailleurs de la sous-traitance.

Selon la Cnam, citée par le journal "Les Echos" du 7 Novembre 2002, les accidents de travail avec arrêt ont augmenté de 8,7 % entre 1998 et 2001, pendant que les accidents mortels s'accroissaient de 17,1 %. Les salariés de la sous-traitance sont particulièrement visés. D'après les "Liaisons sociales", en 1990, le taux d'accidents mortels chez les sous-traitants était déjà le double de celui de leurs donneurs d'ordres; en 2000, ce taux était passé au quadruple. En fait, les progrès de l'automation font que dans les usines un fossé se creuse entre une classe "privilégiée" : les exploitants salariés de l'entreprise, convenablement traités, faisant fonctionner les installations avec des ordinateurs situés en salles de contrôle climatisées, et les véritables "soutiers" de l'entreprise, sous-traitants mal payés, aux contrats de travail à durée limitée, qui interviennent en prise directe sur les équipements, notamment pour les tâches de maintenance, de manutention, de décontamination ou de nettoyage, et sont donc particulièrement exposés aux risques.

Cette situation résultant de la compression des dépenses est particulièrement sensible en matière de maintenance. D'après l'Observatoire de la maintenance industrielle, les dépenses directes de maintenance des entreprises industrielles seraient passées de 4,5 % de leur chiffre d'affaire moyen en 1987 à seulement 3 % en 2001. En d'autres termes, pendant que ce chiffre d'affaire s'accroissait de 1000 milliards de Francs durant cette période, les dépenses de maintenance diminuaient de 15 milliards, aux dépens de l'état des installations.

On constate un phénomène général : les vieux agents de maintenance, qui ont une connaissance parfaite des machines d'un atelier où ils travaillent depuis plus d'une dizaine d'années, sont remplacés à leur départ en pré-retraite (de plus en plus à 55 ans, dans les grandes entreprises à feu continu travaillant 24h sur 24) par des sous-traitants payés de moins en moins cher.

Concrètement, cela conduit à remplacer des ouvriers expérimentés, attachés à leur entreprise et motivés, par de jeunes ouvriers, mal payés, peu expérimentés, ne travaillant que quelques mois dans une entreprise qui n'est pas "leur" entreprise, et donc non motivés, dans des installations qu'ils connaissent mal et leur font peur. Il n'est donc pas surprenant que les accidents de travail fassent des ravages dans une population aussi vulnérable.

Le législateur a donc réagi.

C'est ainsi que le chef d'entreprise a légalement obligation d'évaluer les risques de son entreprise (le risque étant l'exposition d'un travailleur à un danger) et de prendre les dispositions de prévention nécessaires. La Communauté européenne en avait fixé le principe dès 1989, par sa directive 89/391/CEE, transcrite en droit français par la loi 91-1414 du 31 décembre 1991 (article L. 230-2 du code du travail).

Cette législation a été suivie des décrets 93-40 et 93-41 du 11 janvier 1993, concernant la mise en conformité et à la sécurité des machines, des deux arrêtés du 19 Mars 1993, l'un sur les travaux dangereux obligeant à établir un plan de prévention, l'autre sur les équipements de protection individuelle, et de l'arrêté du 26 Avril 1996 sur le protocole de sécurité du transport.

L'expérience ayant révélé que, faute de sanction, l'application de l'article L.230-2 était restée lettre morte, il fut pris, à la suite de la prise de conscience ayant suivi la catastrophe de l'usine AZF de Toulouse, le décret 2001-1016 du 5 Novembre 2001, instituant l'article R. 230-1 du Code du Travail imposant, sous peine d'amende (article R.263-1-1), aux chefs d'entreprise d'établir, avant le 7 Novembre 2002 un Document Unique évaluant l'ensemble des risques de leurs établissements classés par importance décroissante (fréquence et gravité), par unité homogène de travail. Ce document est à remettre à jour chaque année, et également lors de toute modification significative d'installation. Une circulaire du Ministère du Travail (circulaire d'application n° 6 DRT du 18 avril 2002) en précise les modalités. Toute latitude est laissée au chef d'entreprise en ce qui concerne la présentation, les modes d'évaluation, et la détermination des "unités de travail" (atelier, catégorie professionnelle..).

Diverses méthodes d'évaluation sont proposées, par les organismes patronaux, ou les consultants en matière sociale (d'ingénieux petits logiciels sont proposés aux PME). Elles se basent d'abord sur le recensement et le classement des dangers, des dangers majeurs aux dangers banals (chute dans l'escalier...), puis sur la probabilité de risque, proportionnelle en général au rapport entre la durée de l'exposition au danger et la durée totale du temps de travail.

Ce document est à présenter au CHSCT, à l'inspecteur du travail ou de la Cram, aussi bien qu'aux officiers de police judiciaire en cas d'accident entraînant action en justice.

En ce qui concerne la sous-traitance, ou de façon plus générale la "coactivité" d'une entreprise "intervenante" dans une entreprise "utilisatrice", la sécurité a été organisée par le décret 92-158 du 20 Février 1992, instituant l'article R.237-1 et suivants du Code du Travail, qui prévoit l'analyse commune des risques, le plan de prévention, et le retour d'expérience. Le décret 94-1159 du 26 Décembre 1994 s'applique au cas des chantiers du bâtiment et du génie civil, en instituant un plan général de coordination sécurité-santé (art. R. 238-21), un plan de sécurité et de protection (R.238-31 III et R.238-32), et le retour d'expérience.

De son côté, la Justice a également réagi, avec la notion de "faute inexcusable de l'employeur" , selon les arrêts de la Cour de Cassation des 22 février et 11 Avril 2002, consécutive aux procès relatifs à l'usage de l'amiante, donnant le "caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ".

Dans le cas d'une action en justice entreprise à la suite d'accident de travail, ou de maladie professionnelle, consécutifs à un risque identifié dans le Document unique, le juge demandera nécessairement au responsable de l'entreprise quelles dispositions avaient été prises pour supprimer ou atténuer ce risque clairement identifié. Une instruction a été donnée par le ministère de la Justice aux procureurs généraux des Cours d'appel, pour que ce Document unique figure dans la procédure.

Le Document unique renvoie donc nécessairement au Plan de prévention des risques: le juge pourra apprécier si ce Plan a été suivi d'actions, en fonction des priorités définies dans le Document unique... dans la limite reconnue des contraintes budgétaires de l'employeur.

Bien entendu, de nombreux décrets protègent en outre les travailleurs contre les risques spécifiques, tels les décrets 86-1103 du 2 Octobre 1986 sur les rayonnements ionisants, 91-451 du 14 Mai 1991 sur les écrans de visualisation, 96-98 du 7 février 1996 sur les poussières d'amiante...

 

Risque indusriel

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Les catastrophes ont jalonné l'histoire industrielle, depuis l'explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 (1000 morts). Parmi les sinistres majeurs récents on se souvient de ceux de Brest et Texas-City (nitrate d'ammonium - 1947), Feyzin (sphère de propane - 1966), Seveso (dioxine - 1976), Three Miles Island (centrale nucléaire - 1979), Bhopal (méthylisocyanate - 1984), Tchernobyl (centrale nucléaire - 1986), Blaye (silo de céréales - 1996), et enfin AZF Toulouse (nitrate d'ammonium - 21 Septembre 2001).

Face à cette situation, le législateur a réagi, dès Napoléon, par le décret impérial du 15 Octobre 1810 sur les établissements "insalubres, incommodes ou dangereux" (établissements "classés"), modernisé par la loi du 19 Décembre 1917 y ajoutant le risque "pollution", et distinguant les établissements soumis à autorisation de ceux simplement soumis à déclaration. Neuf jours seulement après l'accident de Seveso (10 Juillet 1976) a été publiée la loi 76-663 du 19 Juillet 1976 relative aux "installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE)", définissant les procédures d'autorisation et de contrôle et axée sur la responsabilité de l'exploitant, complétée par le décret 77-1133 du 21 septembre 1977, introduisant les études d'impact et de danger.

De son côté la CEE, par sa directive du 24 juin 1982 (directive "Seveso" sur les installations classées) demande aux Etats et aux entreprises d'identifier les "risques associés aux activités industrielles dangereuses" et de prendre les parades appropriées, directive transcrite en droit français par la loi 87-565 du 22 Juillet 1987. Cette directive est élargie par la directive européenne 96/82/CE du 9 Décembre 1996, dite "Seveso 2" aux "établissements" , et non plus aux seules "installations", et à tous les lieux où se trouvent des substances dangereuses, elle aussi transcrite en droit français par le décret 99-1220 du 28 Décembre 1999 sur la nomenclature des installations classées, le décret 2000-258 du 20 Mars 2000 (modifiant en conséquence le décret de 1977), et l'arrêté et la circulaire du 10 Mai 2000.

Cette réglementation rend obligatoires l'étude d'impact et de dangers, la maîtrise de l'aménagement autour du site dangereux, la mise en place de plans de secours et l'information préventive des populations. Autour du site dangereux doivent être définis deux périmètres, en cas de sinistre: le plus proche, où il y a risque de décès; et le deuxième où les personnes peuvent rester 30 minutes sans subir de lésions irréversibles.

Deux plans de secours, avec exercices de simulation, doivent être prévus: au premier niveau, le plan d'opération interne (POI), où le sinistre, limité à l'intérieur de l'établissement, est géré par l'entreprise; et au deuxième niveau, le plan particulier d'intervention (PPI), dans le cas où le sinistre entraîne un risque grave à l'extérieur du site, qui est géré au niveau du préfet.

Le risque nucléaire de son côté fait l'objet d'une réglementation abondante, dont la description dépasserait le cadre de cet article. Les sites nucléaires font l'objet de mesures similaires, dont l'information du voisinage, et les plans de sécurité: plan d'urgence interne (PUI) et plan d'urgence interne particulier (PUIP), analogues aux POI et PPI, avec en plus un plan spécifique, le plan d'urgence criticité (PUC), en prévention d'une émission accidentelle de neutrons.

Sur le plan normatif, l'application des normes de la série ISO 14000 est destinée à imposer aux entreprises certifiées une discipline permettant de protéger l'environnement.

Postérieure à ces dispositions, la catastrophe d'AZF de Toulouse, par son immense retentissement, a fait prendre conscience que l'application de procédures sophistiquées ne suffisait pas à prévenir les sinistres, mais qu'il fallait en plus un peu de bon sens et de connaissance concrète de la réalité des ateliers. Cet établissement avait obtenu la certification ISO 14000, et cependant y étaient entreposés, en pleine ville, plusieurs centaines de tonnes d'un produit déclassé, mais ayant déjà été associé à plusieurs explosions catastrophiques dans son histoire.

Cette catastrophe a entraîné une réaction immédiate du Gouvernement (rapport confié à M. Philippe ESSIG), et du Parlement, par la constitution d'une "Commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur", présidée par le député François LOOS (actuellement ministre des PME), et dont le rapporteur a été le député Jean-Yves LE DÉAUT.

Cette Commission à procédé à l'audition de toutes les instances concernées, en particulier celle du président de l'Association française des ingénieurs et responsables de maintenance (contribution de l'Afim au débat national sur les risques industriels), et son rapport a été enregistré le 29 Janvier 2002 sous le numéro 3559 à la présidence de l'Assemblée nationale (rapport disponible à la librairie de l'Assemblée).

Ce rapport préconise des mesures importantes, telles que la nécessité d'impliquer les travailleurs, quotidiennement au contact de la réalité d'un terrain dont les états-majors sont devenus trop éloignés, dans la définition des mesures de sécurité ; et celle d'un enseignement de la sécurité, absent de presque tous les programmes de l'enseignement technique, y compris celui des écoles d'ingénieurs.

Parallèlement à ces dispositions générales, s'est développée toute une floraison de réglementations particulières :
- le décret 99-1046 du 13 décembre 1999 transposant en droit français la directive européenne 97/23/CE du 29 Mai 1997 sur les équipements sous pression, et son arrêté d'application du 15 Mars 2000 bouleverse en la renforçant l'ancienne législation française, mais en multipliant les documents et remplaçant les contrôles fait par l'Etat par ceux effectués par un contrôleur privé... choisi par le contrôlé après mise en concurrence, disposition légitimement controversée (voir le bulletin SOFIOM n°27, pages 7 et 8)
- les décrets 2002-1553 et 2002-1554 du 24 Décembre 2002 transposant la directive européenne 1999/92/CE sur le risque d'atmosphères explosives (décrets ATEX)
- l'arrêté du 5 Août 2002 sur la prévention des sinistres dans les entrepôts couverts
- l'arrêté du 5 Décembre 2002 modifiant l'arrêté du 1er Juin 2001 sur le transport des marchandises dangereuses par route ("arrêté ADR"), en application des directives européennes 94/55/CE du 21 Novembre 1994 et 96/35/CE du 3 Juin 1996
- l'arrêté du 30 Août 2002 créant un groupe de travail sur l'étude des dangers.

Un projet de loi général sur la prévention des risques technologiques, initié par le précédent gouvernement, a été repris par le gouvernement actuel: il est actuellement (Mars 2003) en phase finale d'examen au Parlement.

Il est rappelé que les Dreal (ex "Service des mines") sont chargées du suivi de la réglementation sur les risques technologiques.

 

Conclusion générale

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La grande leçon à retenir est la suivante : en matière de risque, les réglementations et procédures sont nécessaires, mais ne donnent que l'illusion de la sécurité s'il n'y a pas en même temps dans les ateliers et sur les chantiers un personnel expérimenté, motivé et formé... et, à la tête des entreprises, des décideurs connaissant bien les réalités du terrain.

Ou trouver l'information :
INRS (Institut national de recherche et de sécurité), dont les documents sont diffusés gratuitement par les Cram aux entreprises
Ineris (Institut national de l'environnement et des risques)
Sites gouvernementaux :
------ www.sante-securite.travail.gouv.fr
------ www.legifrance.gouv.fr
------ www.ladocumentationfrancaise.fr
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